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22 novembre 2011
Extrait d’un entretien avec Danielle Mitterrand, Présidente de "France
libertés"
DANIELLE MITTERRAND :
"La démocratie n’existe ni aux USA, ni en France".
Hernando CALVO OSPINA
Hernando Calvo Ospina est un journaliste colombien réfugié en France et
collaborateur, entre autres, du Monde Diplomatique.
Sa présence dans un avion régulier d’Air-France en avril 2009 effraya à
ce point les USA qu’ils lui interdirent le survol de leur territoire et
exigèrent son déroutage. Voir :
http://www.legrandsoir.info/article8459.html
Hernando Calvo Ospina a bien voulu nous confier le texte d’un entretien
qu’il a eu avec Danielle Mitterrand. Qu’il en soit remercié.
Ce qui suit est un extrait de l’entrevue à Mme. Danielle Mitterrand,
veuve de l’ex-président français François Mitterrand, et présidente de
l’association « France-Libertés ». A sa lecture il est facile de
comprendre pourquoi, et ce depuis plusieurs années, les médias
politiques et d’informations dans leur grande majorité ont essayé de
l’ignorer.
vendredi 28 octobre 2005 - Entretien réalisé par Hernando Calvo Ospina.
Hernando Calvo Ospina : Mme. Mitterrand, qu’a signifié
pour vous l’arrivée au gouvernement de votre époux François ? Est-ce que
les idéaux sociaux et politiques qu’il portait dès sa jeunesse ont été
reconnus en ces moments-là ?
Danielle Mitterrand : Mai 1981 fut un mois de grande
activité, car c’était la préparation de l’arrivée au pouvoir de François.
J’essayais d’apporter tout ce qu’il y a de meilleur en moi, pour que ces
rêves d’avoir une société socialiste, quoique à l’européenne, deviennent
réalité. Mais bien vite j’ai commencé à voir que cette France juste et
équitable ne pouvait pas s’établir. Alors je lui demandais à François :
Pourquoi maintenant que tu en as le pouvoir ne fais-tu pas ce que tu
avais offert ? Il me répondait qu’il n’avait pas le pouvoir d’affronter
la Banque mondiale, le capitalisme, le néolibéralisme. Qu’il avait gagné
un gouvernement mais non pas le pouvoir.
J’appris ainsi que d’être le gouvernement, être président, ne sert pas à
grand-chose dans ces sociétés sujettes, soumises au capitalisme. J’ai
vécu l’expérience directement durant 14 ans. Même s’il essayait d’éviter
le côté le plus négatif du capitalisme, les rêves ont commencé à se
briser très rapidement.
HCO : Vous n’avez pas assumé le rôle de « première
dame » comme l’« exige » la tradition protocolaire. Était-ce un simple
caprice ? Ou à cause de convictions politiques ?
DM : Je n’ai pas voulu être une « première dame » comme
toutes les autres, et en conséquence j’ai refusé le protocole qu’on a
voulu m’imposer. J’étais l’épouse du chef de l’État, d’un homme que
j’aimais, mais j’étais aussi libre d’avoir mes propres convictions. Je
n’allais pas accepter d’être la simple image de la femme française
typique, représentative d’un secteur social ; de sourire devant les
caméras et les personnalités ; ou de servir d’ornement aux oeuvres de
bénéfices. Avant tout, mon rôle devait consister en mon apport pour la
construction d’une société juste.
J’ai eu mes critères et mes réflexions politiques, qui ont parfois fait
choc avec celles de François. Si le gouvernement n’allait pas sur une
bonne voie, je me devais de le dire, de le critiquer. Je sais que ce
n’est pas le rôle d’une « première dame », car normalement elles ne sont
qu’un instrument du pouvoir. Chaque fois que les autres ont voulu
s’opposer à mes tâches militantes pour des « raisons d’État », pour
n’être pas « diplomatiquement correctes », François m’a soutenue car il
voyait qu’elles étaient justes. Il ne pouvait essayer de m’empêcher de
faire ce qu’il disait défendre.
HCO : Mme. Mitterrand, vous avez fondé « France-Libertés »,
qui s’est distinguée par son engagement politique, social et humanitaire...
DM : Je l’ai fondée non pas dans l’intention d’en faire
un contre-pouvoir, ni pour qu’elle serve au pouvoir. Je voulais prendre
mes propres initiatives de solidarité politique, indépendantes des
desseins du pouvoir, même si je m’attendais qu’avec le gouvernement
socialiste nous aurions des objectifs proches. Mais je me suis vite
rendu compte que ce ne serait pas facile. Est arrivé le moment où
« France-Libertés » voulait aider des populations opprimées, mais le
gouvernement socialiste français soutenait d’une manière ou d’une autre
leurs bourreaux. Rapidement j’ai dû me poser la question : Jusqu’où peut-on
aller sans provoquer d’ « incidents diplomatiques » ?
Dans l’Association s’est présenté pour nous un questionnement qui ne m’a
pas du tout plu : sa présidente, épouse du président de la République,
devait-elle respecter la sacro-sainte loi de non-ingérence dans les
affaires de l’État, et se priver ainsi de son droit à la solidarité
politique et humanitaire, pour ne pas aller à contre-courant ? J’ai
continué avec mon projet car je le croyais juste. Alors, même de vieux
amis personnels et de lutte ont commencé à m’isoler. Tout le pouvoir et
le poids de la diplomatie française ont tenté de m’écraser, usant de
tout pour « réparer » mes actions et mes expressions politiques
publiques.
J’ai constaté que je ne pouvais pas exercer ma fonction de manière
exemplaire si je ne servais pas le marché, le capitalisme. Que mon
devoir n’était pas de me préoccuper des torturés ni des affamés. Que si
ceux qui étaient écrasés réclamaient l’éducation, la santé ou du travail,
je devais tourner la tête de l’autre côté. J’étais la « première dame »
et je devais aider, avec mes sourires dans les cocktails, à ce que les
intérêts commerciaux de la France progressent. Quand j’écoutais au cours
de mes visites aux ambassades les discours du « commercialement correct »,
où le tout-puissant marché était ce qu’il y avait de fondamental avant
la solidarité entre les peuples, cela me donnait l’envie de partir en
courant. Je ne pouvais croire que les « bulldozers » du marché
pourraient arriver à recouvrir jusqu’aux fondements mêmes de notre
culture. Et ils l’ont fait.
Pourquoi un gouvernement qui se disait de gauche ne pouvait-il pas
répondre aux attentes qu’il avait créées durant tant d’années dans
l’opposition, tant au niveau national qu’international ? Devait-on
accepter les impératifs d’un système mercantile jusqu’à la soumission ?
HCO : Ce système du marché sauvage, du capitalisme, du
néolibéralisme, a à sa tête les États-Unis. Est-ce que la France se
soumettait aux desseins de ce pays ?
DM : Durant la célébration du Bicentenaire de la
Déclaration des droits de l’Homme - juillet 1989 - j’ai pu voir jusqu’à
quel point nous étions soumis aux État-Unis. L’État français n’invita
pas plusieurs dignitaires, en particulier des Latino-Américains. Comme
par hasard c’était ces pays-là que Washington voulait annuler, détruire.
Et je ne vais pas citer de noms, mais c’est facile à vérifier. Je me
rappelle avoir dit à François : « Jusqu’à quel point allons-nous être
dépendants de l’humeur des États-Unis, ne pas pouvoir choisir nos
invités pour nos festivités... ? » Ce fut une honte.
HCO : Mme. Mitterrand, si cela arrive en France, vous
devez bien savoir ce qu’il en est sous d’autres latitudes...
DM : Je ne suis pas anti-États-Unis, mais je suis avec
le peuple de ce pays et non pas avec l’Administration qui le gouverne.
Celle qui se sert de ce peuple pour tirer des bénéfices qui servent à
quelques uns. Durant toutes ces années de ma vie, spécialement après la
Seconde Guerre mondiale, j’ai pu voir comment les États-Unis foulaient
aux pieds la liberté et la démocratie des autres pays, particulièrement
les pauvres. Ronald Reagan désigna comme terroriste le gouvernement
sandiniste du Nicaragua, quand les terroristes, c’était son
Administration et cette « contra » qu’il finançait.
J’étais au Nicaragua peu de temps avant qu’ils détruisent la révolution.
Fonctionnait encore ce qui avait été atteint au niveau de l’éducation et
de la santé, des choses qu’avait le peuple nicaraguayen pour la première
fois de son histoire. Je me rappelle que Daniel Ortega me disait :
« Daniella, dis à François qu’il ne peut pas nous laisser tomber ; que
l’Europe démocratique ne peut pas nous abandonner... ». Je le lui ai dit
en effet. Et il n’a pu rien faire : les États-Unis avaient décidé que
les sandinistes devaient s’en aller avec leurs plans de développement
social, pour faire place au néolibéralisme et au retour de la misère
pour le peuple. Tandis que nous, nous étions en train de fêter le
Bicentenaire de la Déclaration des droits de l’Homme !
HCO : Au cours de ces mêmes années Washington
resserrait le blocus contre Cuba, essayant d’en finir avec la Révolution.
DM : Le Nicaragua ne pouvait compter que sur Cuba. Et
Cuba aussi était en train d’être étranglée par l’embargo des États-Unis,
qui continue jusqu’à présent et qui n’a eu d’autre but que celui d’en
finir avec tout ce qu’il y a de merveilleux que cette Révolution a
réalisé au niveau social : quelque chose d’unique en Amérique latine ;
presque unique dans un pays du Tiers-Monde.
Quand en 1989 Cuba se trouvait déjà seule face à Washington, car elle
n’avait plus l’appui de l’Union soviétique, je m’y suis rendue. À mon
retour j’ai dit à François : « Tu ne peux pas laisser tomber Cuba. Cette
Révolution a beaucoup fait pour le peuple. La France ne peut être
soumise aux États-Unis. » Il me disait que la France toute seule ne
pouvait pas, et qu’en Europe personne ne la suivrait. Que les États-Unis
détenaient tout le pouvoir économique, politique et de la propagande, en
plus des contre-révolutionnaires de Miami. Je continue aujourd’hui à
dire que cette révolution a mérité de se maintenir, car elle l’a fait et
c’est le peuple qui la maintient. Par conséquent les États-Unis n’ont
pas pu la faire plier. Je connais Fidel depuis très longtemps. J’ai
passé beaucoup d’heures à discuter avec lui, à nous dire ce que nous
pensons. Je lui ai fait part de toutes les critiques que j’ai au niveau
politique. Une fois je lui ai demandé pourquoi il me supportait. Et il
m’a répondu : « Parce que tu es une amie sincère. Et les critiques des
amis on les écoute parce qu’elles sont honnêtes, même si nous ne sommes
pas d’accord sur certaines choses. »
La dernière fois qu’avec François nous avons reçu officiellement Fidel à
Paris, en le saluant je l’ai embrassé publiquement sur la joue. Ce qu’
« interdit » le protocole et les « politiquement corrects ». Mais c’est
que non seulement Fidel était notre ami, mais aussi qu’il est latin, et
les Latins sont tendres. Ce fut un scandale que la presse me rappelle
encore.
HCO : Que pense Mme Mitterrand du président vénézuélien
Hugo Chávez et des projets nationaux qu’il essaie de lancer ?
DM : Je n’ai jamais aimé les militaires. Mais Chávez,
avant d’être un militaire est un homme, un être humain, et il est arrivé
au pouvoir par la voie démocratique, et au point de gagner plusieurs
élections. Chávez, au milieu de tous les obstacles que mettent sur son
chemin les États-Unis et l’opposition dirigée par les riches, tente de
faire avancer les programmes sociaux qu’il a offerts au peuple.
Évidemment, le monde capitaliste lui est tombé dessus car il ne veut pas
qu’un président du Tiers-Monde démontre que le peuple peut effectivement
participer aux décisions de l’État et à son développement.
Que ce peuple, avec son leader, marche de l’avant pour ne plus être
exploité, ni être analphabète et avoir droit à la santé. C’est ce qui se
passe au Venezuela malgré tout. À cause de cela ils veulent éliminer,
effacer Chávez. Peu leur importe si c’est le peuple qui l’a élu, et qui
doit décider s’il doit le soutenir ou l’enlever de là. Il existe une
espèce de rage de la grande majorité de la presse mondiale contre Cuba
et le Venezuela. Et c’est parce que ces gouvernements veulent être
indépendants, souverains, dignes. Cela dérange. N’oubliez pas que les
médias sont dirigés par de puissants capitalistes.
HCO : Mme Mitterrand, est-ce que la France est un
modèle de démocratie ? Est-ce une puissance mondiale ?
DM : En France on élit et les élus font des lois qu’ils
n’ont jamais proposées et dont nous n’avons jamais voulu. Est-ce la
démocratie quand après avoir voté nous n’ayons pas la possibilité
d’avoir de l’influence sur les élus ? Je ne crois pas que dans aucun des
pays qui se disent démocratiques, ceux-là qui croient avoir le droit
d’imposer « leur » démocratie aux pays pauvres, il existe la démocratie,
à commencer par les États-Unis et la France. La France est une
démocratie ? Une puissance mondiale ?
Je le dis en tant que Française : Cela ne veut rien dire. Si on le dit
pour les niveaux d’éducation, de la recherche ou la santé, c’est nul.
Pour être capables d’aider la paix mondiale, les peuples opprimés ? Nul.
Hernando Calvo Ospina.
http://hcalvospina.free.fr/spip.php?article119
(Traduit par Abacar Fall)
URL de cet article 15194
http://www.legrandsoir.info/danielle-mitterrand-la-democratie-n-existe-ni-aux-usa-ni-en-france.html
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